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Corps (un)

Pour saisir toute l'importance que nous accordons au titre de l'ouvrage et à l'intitulé de ce site, il nous faut opérer un triple renversement de nos habitudes de penser.

Et tout d’abord dans ce que la tradition philosophique occidentale a désigné sous le terme de dualisme. La différence de nature entre un corps constitué essentiellement de matière opposé à l’âme ou à l’esprit imprègne de nos jours nombre d’opinions, d’attitudes et de pratiques. La distinction du somatique et du psychique traverse encore ce champ de recherche, objet privilégié de nombreuses sciences de plus en plus spécialisées. Ainsi, prendre soin d’un corps peut relever, schématiquement, d’une médecine des symptômes qui travaille essentiellement sur la matière de ce corps ou de thérapeutiques de «l’âme», du psychisme dans leurs multiples variantes (psychologiques, psychanalytiques, comportementales …). La difficulté d’ «articuler» ces champs de pratique (par exemple en psychosomatique) démontre précisément la prégnance de ce modèle.

Pourtant, il est devenu aujourd’hui un véritable «obstacle épistémologique» (G. Bachelard) car les découvertes, notamment en physique, ont miné depuis longtemps ses fondements :

  • Un corps, en effet, considéré à l’échelle quantique, n’est pas constitué essentiellement de matière mais de vide, condition de transmission d’énergie et de vibrations.
  • La notion de matière elle-même a perdu depuis un siècle tout ce que les philosophes lui avaient accordé : impénétrable, indestructible, infiniment divisible, substance… «Dématérialisée, déchosifiée, sous le scalpel des physiciens cette notion s’évanouit dans un être mathématique particulier» (cf rapport matière-énergie).

«Déjà à la fin du XIXè siècle, le physicien E.Mach décelait dans le concept de matière un point aveugle de la pensée savante. Faisant apparaître les motifs psychologiques de l’identification de la matière à la masse, il n’hésitait pas à dénoncer la notion de matière comme un fantôme métaphysique» (E. Klein physicien philosophe). Et pour nombre de penseurs et philosophes ce fantôme semble bien être encore aujourd’hui au fondement de leur réflexion sur «le matérialisme».

«Le corps» est une notion générale qui réunit les caractères communs à tous les corps et peut s’appliquer à chacun d’eux. Ainsi est-il un objet de connaissances à partir de multiples approches théoriques qui permettent des analyses différenciées (celles des sciences exactes comme des sciences humaines ou encore de l’art, de la philosophie, de la religion…) et donc de très nombreuses interprétations. Mais rendre compte de la réalité complexe d’un corps, c’est essayer d’approcher moins ce qui le fait ressembler aux autres que ce qui l’en différencie de manière radicale comme une singularité irréductible aux seules analyses «disciplinaires».            icone-livre.gifConclusion I du livre et Note 12 de l’Avant-propos 

En effet, cette réalité, la nôtre - nous sommes chacun pour notre compte un corps - n’est pas un objet mais un évènement éphémère qui s’enracine dans une histoire, celle des vivants et de l’univers et d’abord dans l’histoire des familles qui l’ont amené à l’existence. Ce microcosme très complexe (jusque dans ses manifestations politiques icone-livre.gifChapitre 5 du livre ce monde aux sept merveilles), est le siège lui-même de nombreux évènements qui vont constituer, de sa conception à sa disparition, ce que nous avons appelé une ligne de vie à nulle autre pareille. 

icone-livre.gifCh. 2 et conclusion du livre


Aussi, le titre de l’ouvrage résume pour nous son contenu qui vise non seulement à connaître cet objet singulier mais à tenter de le comprendre.penser transdisciplinarité. Et considérer cette recherche, à l’image d’autres travaux, comme un ouvrage sur «le corps» serait plus qu’une confusion regrettable, un contresens radical.

En effet, toutes les armadas conceptuelles et technologiques mises en œuvre par les différentes disciplines et absolument nécessaires pour élaborer la connaissance d’un tel objet, resteront toujours insuffisantes pour résoudre lénigme qu’il pose, c'est-à-dire pour comprendre la raison d’être de ses expressions. C’est pourquoi, la médecine qui n’est pas une science mais «une pratique au carrefour de plusieurs sciences», restera toujours «un art» (G. Canguilhem) qui consiste à prendre soin d’un corps dans toute sa singularité.