Site réalisé par Gecom Services

Annexe 1 Mémoires et Souvenirs

Depuis de nombreuses années, mon travail de recherche m’a conduit sur les chemins complexes et parfois étonnants de la généalogie. Je voudrais exprimer par cette brève contribution toute ma reconnaissance, pour le travail entrepris, au fondateur de votre association, Michel Guigal, et à toutes celles et tous ceux qui l’ont accompagné depuis 1989 et qui continuent aujourd’hui à nous associer à cette aventure collective de la recherche des origines.

I - Dans un monde en plein bouleversement où les chemins ne sont pas sûrs beaucoup de gens sont désorientés ne sachant ni d’où ils viennent ni ce qu’ils sont ni où ils vont. La« mode » de ce que l’on appelle « la généalogie » est probablement assez significative de cette désorientation. Comme le suggère ce proverbe africain : « Quand tu ne sais plus où tu vas,  regarde d’où tu viens ». Aussi, faire « sa généalogie » c’est, paradoxalement, aller au-delà de soi. Jamais, en effet  nous ne serions venus à l’existence sans la transmission au cours des générations de ce qui aujourd’hui assure notre vie.

L’opinion commune représente souvent cette expérience sous la forme d’un arbre dont la seule production est celle des noms et des dates. En somme une représentation statique, un tableau que l’on accroche au mur de son salon et que l’on commente, pour les profanes, comme un folkloriste du « bon vieux temps ». Cette vision simpliste et passéiste occulte, selon nous,  l’essentiel de toute recherche et découverte en généalogie.

En effet,  ce qui est au cœur même de l’héritage reçu de nos ascendants c’est,  comme l’exprime le biologiste Jean Claude Ameisen,  « une très longue histoire qui a débuté longtemps avant l’instant de notre venue au monde. Nous sommes, chacun,  un descendant d’une longue lignée d’ancêtres dont la généalogie se perd dans la nuit des temps »(2). Cette histoire très complexe,  celle des familles qui nous ont précédés,  affleure à partir des informations que nous récoltons et qui sont autant d’indices de leurs manières de vivre, de ce qu’elles ont éprouvé dans un espace (une famille, un village, une région) et un temps donnés. Rechercher ainsi, de manière rigoureuse (faire des hypothèses, vérifier les données comme doit le faire tout historien) les origines d’une lignée c’est nécessairement découvrir aussi les conditions socioculturelles de son existence qu’il s’agisse du droit, de l’économie ( par ex. les successions et héritages), de la religion omniprésente, de la politique et des rapports de pouvoirs. Chaque lignée, de manière spécifique, est comme le creuset et le miroir où se réfléchissent les évènements, mouvements et soubresauts d’une société à une époque donnée : crises, révoltes et révolutions, conquêtes et migrations,  famines et épidémies. (cf les nombreux articles de la revue consacrés à ces évènements).

Et le plus bel hommage que l’on puisse rendre à tous les « animateurs » de la Saga est d’avoir  mis à notre disposition, pour aborder cette histoire des familles, un travail exemplaire : - de documentation et d’informations sur les archives ( registres paroissiaux, fichiers de patronymes.. Le No51 de la Revue fait le bilan exhaustif de cette œuvre considérable.) - de mise en relation des amateurs et chercheurs en généalogie (échanges des recherches et questions.), sans oublier (dans nombre d’articles) l’ouverture sur l’histoire et le temps présent.

Mais enfin, de quelle nature est ce désir,  cette passion qui nous entraînent à retrouver un passé qui semble,  pour la plupart des gens,  à jamais disparu ? Simple passe-temps pour les désoeuvrés, fuite dans le passé ou travail d’archiviste ? Pourquoi ce tropisme du retour en arrière alors que nous avons tant à faire et à découvrir aujourd’hui ?

  

II - Les passionnés de généalogie répondent le  plus souvent qu’ils remontent dans le passé pour « retrouver leurs racines ». Cette image banale est pourtant particulièrement éclairante. En effet « faire sa généalogie », nous l’avons suggéré, c’est aller au-delà de soi dans l’histoire des familles. Mais c’est en même temps, peut-être, aller vers un en-deça de soi , là où se cachent des forces profondes et intenses plus intimes à nous- mêmes que nous -mêmes.

1 -  Un arbre généalogique, en ce sens, bien loin de se réduire à un tableau est semblable à un vivant qui tire sa sève et son développement de ce qu’il cache au plus profond du sol. Il s’enracine en effet dans l’histoire des vivants et de l’Univers qu’il exprime à sa façon. Un arbre déraciné est un arbre mort. Et notre vie présente, individuelle et sociale, est « animée »,  nourrie de celle de nos ancêtres et, à travers ce qu’ils nous ont transmis, de toute l’énergie des vivants et de la Nature.

C’est pourquoi, dans cette « saga » extraordinaire de la transmission au cours des générations, chacun de nous a une place unique où il sera compté bien après sa disparition. Car il aura vécu son temps dans un lieu donné avec une identité (nom et prénoms) irremplaçable. «  Regrets éternels », « Nous ne t’oublierons jamais ». Mais,  au fil des générations, ces serments et promesses gravés sur la pierre des cimetières sombreront dans l’oubli. Et quelles que soient les multiples pratiques de commémorations s’effacera progressivement, avec leurs auteurs, le vivant souvenir de leurs ascendants.

Pourtant, garder la mémoire des ancêtres est bien loin de se réduire au souvenir des disparus. Car ils  nous ont transmis dès notre conception des traces autrement durables non seulement biophysiques ( héritage génétique des parents et particulièrement de la mère) mais aussi affectives et socioculturelles. Or, l’orientation actuelle des recherches sur la mémoire par ex en neurophysiologie (étude des maladies dégénératives du système nerveux, Alzheimer, Parkinson) ou encore du point de vue culturel (par ex le « devoir de mémoire » et toutes les formes de commémorations) témoignent de manières différentes d’une lutte obsessionnelle contre l’oubli : comment acquérir, conserver ou augmenter nos capacités de mémorisation. Mais la mémoire héritée de nos ascendants et sans laquelle nous ne pourrions pas vivre est irréductible au souvenir de ce dont nous avons fait l’expérience.

 2 - Autrement dit nous portons, la plupart du temps inconsciemment, au plus profond de notre corps, des mémoires de sensations, de relations, d’évènements passés dont nous ne pouvons avoir le souvenir puisque nous ne les avons jamaisvécus. En ce sens, la mémoire, loin d’être la recherche permanente de ce qui n’est plus, est la présence constante,  insistante d’un passé qui imprègne notre vie quotidienne. «Tout ce qui a un jour existé  persiste opiniâtrement » ( S. Freud).

Nul besoin d’être psychanalyste pour en faire l’expérience. Qui n’a pas éprouvé un jour ou l’autre ces sensations « étrangères » dans ses rêves, ses symptômes, ses angoisses, ses réactions, ces instants où il ne se reconnaît pas, comme possédé par un « en-deçà », un soi plus fort que lui-même.(1) Et n’est-ce pas dans cette présence constante du passé dans le présent que s’enracine notre passion pour la généalogie ?

  

III -  Encore faudrait-il démontrer, en bons archivistes du passé, comment la généalogie peut nous conduire sur des chemins largement inexplorés mais que tout un chacun peut découvrir  en remontant sa lignée maternelle s’il prend en compte une révolution (apportée notamment dans la 2e moitié du XX siècle) par les connaissances scientifiques et les pratiques sociales: la reconnaissance du rôle considérable des femmes dans la transmission.

Jusqu’au XIXe siècle, la femme est censée recevoir la vie de la puissance masculine (cf «  la petite graine » expression encore utilisée de nos jours pour initier les enfants à la transmission de la vie !). Et ce sont les pères qui transmettent le nom, l’héritage et les valeurs. Or, cette tradition est profondément remise en cause aujourd’hui :

    • du point de vue biophysique. Nous savons maintenant que « seul le cytoplasme d’un ovule et les protéines qu’il contient semblent posséder le pouvoir mystérieux de permettre la construction d’un individu. »(2)  L’exemple du clonage chez certains animaux démontre que l’on peut créer sans fécondation par un spermatozoïde « une cellule-œuf étrange ». Le cytoplasme en effet contient toute la machinerie énergétique de l’ovule et  notamment les mitochondries dotées d’un code génétique spécifique que seules les femmes peuvent transmettre. Et « durant la première période de gestation c’est le passé de la mère qui guide toutes les étapes de l’enfant à venir. » (2)
    • du point de vue affectif. Nous connaissons depuis longtemps toute la force des liens qui unissent la mère et son enfant depuis la conception, la gestation, pendant les longues années de l’enfance et de l’adolescence et longtemps après sa disparition. Mais la force et l’importance d’une telle relation affective prend sa source dans l’histoire et notamment celle des femmes des générations précédentes. Or, la mère ignorant le plus souvent cette histoire, va transmettre de manière inconsciente à son enfant, dès sa conception, cet héritage ancestral, fondement de sa constitution et de son existence.
    • du point de vue socio-historique. La tradition culturelle occidentale a privilégié la filiation patrilinéaire (cf. importance du patronyme). Cette tradition est largement remise en cause aujourd’hui notamment par les revendications de l’égalité des droits (concernant par ex la transmission du nom, de l’héritage ou des valeurs).

Ces constatations nous permettent de saisir l’importance considérable de la lignée des femmes, des mères, maîtresses de la vie et donc de la transmission entre générations. Ainsi s’ouvre aux recherches et travaux généalogiques un immense champ de découvertes. Car la seule lignée patronymique, celle des pères, dont on ne peut nier l’importance, est loin d’épuiser le trésor de l’héritage que nous avons reçu de nos ancêtres. Ce trésor, ce terrain  au fondement de notre existence, nous a légué d’incroyables forces de vie (qui remontent à la nuit des temps) mais aussi des puissances de mort parfois redoutables.

En remontant la lignée des femmes (à ne pas confondre avec la lignée de la mère et de son patronyme), nous pouvons découvrir que les « racines » qui nous font vivre aujourd’hui constituent un rhizome d’une richesse inouïe. Comme des enfants tenant la main de leurs mères, la nôtre et celles qui l’ont précédée, nous essayons à la fois de connaître dans leur histoire généalogique trop souvent estompée par celle des pères, cet « au-delà de nous-mêmes » pour tenter de comprendre au plus profond, cet « en-deçà »,  ce que nous sommes : un évènement éphémère et pourtant une merveille, un vivant à nul autre pareil.

 André Matrat        Novembre 2009

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

(1) On comprend alors tout l’intérêt que des psychologues, depuis quelques décennies, portent à la notion de transgénérationnel comme adjuvant de leur pratique habituelle. En parcourant l’arbre généalogique des patients de manière plus ou moins rigoureuse, ils découvrent sur plusieurs générations de nombreuses coïncidences d’évènements, des répétitions (de dates , de prénoms , de places dans la fratrie etc.) de nombreux secrets dont-ils peuvent parfois mesurer les effets sur les affects et les comportements de leurs clients. Mais la psychogénéalogie n’est que l’un des aspects de l’importance considérable de la transmission, par nature « trandisciplinaire », puisque c’est tout un monde , un micro-univers dont nous héritons.

(2) J.C Ameisen - La sculpture du vivant - Seuil 1999

N B - Ce texte est paru  en mars 2010 dans le No53 de la Revue : « Origines Ardéchoises », publication trimestrielle de la SAGA (Société des amateurs de généalogie de l’Ardèche)  www.saga@wanadoo.fr. Nous remercions Mr. Jacques  Dumas, Rédacteur en chef,  qui nous a autorisé  à le mettre en ligne sur notre site.